L'espace et le lieu

Yannick Torlini explore les effets de la langue sur la destinée humaine et sa portée sur les lieux qu’on habite. En se penchant sur les thèmes de l’amour, de l’échec, de la douleur, la langue qu’il emploie s’enroule autour du surgissement et disparition de l’amour, de l’autre.
Par cette langue «malangue», il capte les émotions qui nous traversent au quotidien dans une écriture de l’empathie.

Comment continuer à dire, à trouver l'espace où rejoindre l'autre malgré la douleur, la fin qui rôde, comment retrouver l’autre dans l’espace habité, dans les lieux désertés.
Le texte de Yannick Torlini tourne autour du lieu, de l’espace, et ce thème est central dans beaucoup d’autres oeuvres qu’il a publié. Le lieu est espace à parcourir, à se rencontrer, un espace pour la solitude, pour l’écriture.

 

14 euros

 


 

EXTRAITS


cela viendrait peut-être du lieu, de l’espace qui s’y agence par lambeaux. cela viendrait peut- être. de ce qui y vit ou essaie. de ce qui y prolifère ou disparaît. de ce qui s’y éreinte et pense et malgré la nuit. de tout ce qui tient et habite l'improbable fiction du monde. son insuffisance des jours. son temps de pierres et de sable mêlés, s'effritant sous les tempêtes. sa fluidité résistante. sa représentation obstinée, rejouée d'instant en instant, dans l’angoisse que ce ne soit la dernière, peut-être. cela viendrait du lieu, dans. chaque espace, chaque geste recommencés ou comme abandonnés aux recommencements du corps. dedans, abandonnés. à ces animaux de mains et de doigts, de bras, d’os et de chairs. à ce qui ne parle pas. à ce qui n’a pas de langue. à ce qu'il faudrait refaire, encore et encore, finalement. refaire pour ne pas cesser, pour ne pas même imaginer cesser un instant.

 

de gris patiné. quelques éclats subsistent dans la peinture, révélant une teinte plus ancienne. tout autour, quatre chaises en bois, de la même couleur. cette table reste le plus souvent vide et inoccupée. on y trouve parfois quelques fruits finissant de mûrir, entassés dans un compotier en acier inoxydable. parfois aussi, quelques livres, quelques papiers, un briquet, des cigarettes

au-dessus de la tête de lit, fixées au mur, une série d'étagères en bois foncé. ces étagères sont vides. elles n’appartiennent qu’à l’espace et au mur.
de chaque côté du lit, une table de chevet, en bois clair, avec un compartiment ouvert. sur chacune est disposée une lampe à pied, dont la vasque forme un motif floral, une corolle. sur la table de gauche, un couteau, un réveil, parfois un livre et une paire de lunettes. l'espace est plutôt vide et épuré. réduit à son strict nécessaire, celui d’une existence quasi-monastique. devant la chambre, lorsqu’on en sort, il y a un petit palier. quelques cadres sont accrochés sur les murs. des affiches, des poèmes, des souvenirs d'une autre vie. sur la gauche, la salle de bain, étroite, dans les tons taupe, avec une baignoire. plus loin, la cuisine, dont les fenêtres donnent sur l’allée. cette pièce, étroite elle aussi, est destinée à une ou deux personnes, cuisinant peu. quelques ustensiles, une plaque de cuisson, un four électrique, un four à micro- ondes, une bouilloire, une cafetière, un évier, un lave-vaisselle. au milieu de la cuisine, une petite table rectangulaire en fer et à plateau de marbre, et deux chaises pliantes. seule une est utilisée.