Cette mince ligne de partage

Cette mince ligne de partage de Silvia Eugenia Castillero (Mexico, 1963) est un livre de voyage poétique à travers les lieux traversés par des migrants accrochés au train, la Bête au sifflet de fer, dans sa furieuse course vers le nord. Medias Aguas, Huixtla, Tecate, Juárez, se succèdent dans une géographie du désespoir ; voyage poétique à travers « sept demeures « qui sont, à leur tour, constituées de sept poèmes chacune. Elle y démontre la capacité de la poésie de pointer ce que nous ne voulons pas voir. Or, si les romans se sont emparés du sujet, la poésie s’y refuse à de rares exceptions. Nulle comme elle ne retrace avec une telle précision chirurgicale le parcours tortueux et souvent mortel des migrants d’Amérique centrale, à partir du deuil et de la perte. Deux bêtes s’acharnent sur eux : celle de fer sur laquelle ils grimpent et l’autre bête à face humaine : une bête sauvage assoiffée de sexe et de sang.Le public européen ne connaît la réalité mexicaine que sous le prisme des médias nord-américains, de même qu’il assiste aux naufrages des Africains dans les eaux de la Méditerranée que sous l’angle de l’invasion. Le mérite du livre de Silvia Castillero est de renverser notre point de vue, de regarder la misère en face, non pas sous un angle moralisateur, mais dans l’empathie face à la souffrance que génère la misère et le rêve d’un ailleurs. Rien de plus urgent, de plus nécessaire dans un moment où la tentation de renoncer à notre humanité est si forte. Ce faisant, la poésie ouvre un espace de réflexion qui nous permet de voir au-delà et, peut-être, de comprendre ce long et sombre tunnel qu’est devenu le Mexique.

 

16 euros


 

La milpa gotea,

hojas largas y filosas guillotinan

los cuerpos caídos.

Los vi rodar hacia el campo

sobre el paisaje. Salpicaban.

No hay pueblo, solo migrantes;

la gente viene a venderles comida

sillas, baños; les venden sueños

hasta que los desgranan.

Y los dejan en las milpas.

Colgados.

En el interior de la planta

algo se asfixia, un gusano

se la come por dentro y la deforma

hasta parecer un arbusto espinoso.

 

1.

 

Le maïs goutte,

de longues feuilles tranchantes guillotinent

les corps tombés.

Je les ai vus rouler vers la campagne

sur le paysage. Éclaboussant.

Pas de village, rien que des migrants ;

on vient leur vendre de la nourriture

des chaises, des toilettes ; on leur vend du rêve

jusqu’à les égrener.

Puis on les abandonne.

Pendus dans les maïs.

Au cœur de la plante

quelque chose étouffe, un ver

la ronge de l’intérieur et la déforme

jusqu’à lui donner l’air d’un buisson d’épines.