Amnésie Collective

L’Afrique du Sud contemporaine est construite sur une identité nationale qui se caractérise par un traumatisme collectif permanent et son effacement simultané, une «Amnésie collective». Les thèmes qu’aborde Koleka Putuma sont l’amour, la religion, les identités féminine, noire et queer, l’héritage de l‘apartheid... Elle pointe et dénonce le machisme qui règne jusque dans les milieux les plus «progressistes», la violence homophobe de la société sud-africaine, le manque de visibilité et les discriminations dont sont victimes les lesbiennes, notamment dans son poème intitulé No Easter Sunday for Queers, (Pas de dimanche de Pâques pour les queers) qu’elle a adapté au théâtre. Ses poèmes, qui demandent avant tout «JUSTICE !», ont inspiré et accompagné de nombreuses manifestations et mouvements féministes et étudiants.

Son livre pose la question du genre en littérature et traduire Collective Amnesia implique de recourir au langage non genré, ce qui en français suppose des choix - adjectifs, participes passés, pronoms personnels - tout en veillant à ne pas gêner la lecture, ce qui a été parfaitement réussi par le traducteur Pierre-Marie Finkelstein.

 

16 euros


 

EAU

TSV
Le souvenir des promenades sur la plage la veille du nouvel an,
je le partage avec mes cousin.e.s et avec la plupart de celles et ceux qui ont grandi dans une famille noire.
Les ancien.ne.s nous interdisaient de nous éloigner du bord
de piquer des fous rires, de nous éclabousser avec nos collants noirs
et nos sacs en plastique du Shoprite noués autour de nos extensions toutes neuves,
nous interdisaient de surfer sur les vagues
par crainte que nous ne devenions une masse noire que balaie la marée
et qui plus jamais ne revient,
comme des déchets.
Les ancien.ne.s nous l’interdisaient comme si l’océan souffrait d’une intoxication alimentaire.
Souvent je me demande pourquoi j’ai l’impression de me noyer à chaque fois que je regarde au fond de l’eau,
et pourquoi je me sens si incroyablement petite.
Souvent j’entends cette blague
sur les Noir.e.s qui ne savent pas nager,
sur les Noir.e.s qui ont peur de l’eau.
Nous sommes l‘objet de leurs moqueries
et nous aussi, nous avons souvent ri de nous-mêmes
de la façon dont nous nous essuyons le visage quand nous sortons de l’eau.
Regardez-les : on les croirait sorti.e.s tout droit d’Alerte à Malibu,
Regardez-nous : rebelles, prenant des poses, les cheveux en bataille.
Pourtant, dès que notre peau entre en contact avec l’eau,
c’est comme si les roseaux se souvenaient qu’ils furent aussi des chaînes,
comme si l’eau qui bouillonne voulait vomir en bloc esclaves et navires sur la grève,
tous et toutes au grand complet, comme quand ils et elles ont embarqué, levé l’ancre et sombré.